Depuis la mise en fonction des systèmes de vote électronique en Belgique, chaque année d’élection a apporté son lot de problèmes techniques et de bugs à corriger. Certains plutôt risibles, d’autres carrément inquiétants. Grâce à une requête en transparence administrative effectuée par poureva en 1997 ayant obtenue gain de cause en 2001, le Ministère de l’Intérieur met à disposition le code source de ses applications destinées au vote électronique. Or, depuis cette date, aucun organisme indépendant excepté afront ne s’est lancé dans une analyse complète de ceux-ci. Plusieurs analyses “haut niveau” ont été effectuées par poureva, l’une abordant l’adn du code, le threat vector et le bug2505.
Cet article est une analyse non-exhaustive des systèmes de vote électronique déployés en Belgique. Cette analyse a pour objectif de démystifier le fonctionnement du vote électronique et de mettre en lumière les erreurs que j’ai pu rencontrer en élaborant des scénario précis attaquant la sécurité du système. Loin d’être un détracteur du vote électronique, j’espère que cet article permettra de montrer à quel point la mise en place d’un système de vote électronique sûr et stable est une tâche complexe qui doit être effectuée par des professionnels compétents et validé sur base de critères précis.
Je commencerai par définir le concept de vote cryptographiquement sûr avant de décrire le fonctionnement du système Digivote, de l’ouverture des bureaux de votes à la clôture des élections. J’aborderai ensuite les trois vecteurs d’attaques que j’ai exploré : la carte magnétique, l’encodage des votes (en transit et au repos) ainsi que le service web de récolte des votes. Une fois l’exploration de ces vecteurs terminée, je conclurai sur une note positive - je l’espère - avec une liste de recommandations pour l’avenir.
Les sources analysées sont celles de Digivote (MAV v.9.16., URN v.9.15), PGM2 v.275, PGM3 v.1.66b ainsi que Web2 v.1.0.4. Ces sources sont disponibles sur le portail du Ministère de l’Intérieur à l’adresse http://www.elections.fgov.be/index.php?id=3285&L=0
Transparence vous dites ?
Bien que le Ministère de l’Intérieur soit obligé par la loi de fournir les sources des applications servant au vote électronique, il semble que les entreprises fournissant ces applications ont une certaine définition du terme transparence. Selon moi, la transparence d’un logiciel ne passe que par la publication de son code source. Pour rappel, la wikipédia défini un code source comme étant
“un texte qui représente les instructions qui doivent être exécutées par un microprocesseur. Le code source se matérialise souvent sous la forme d’un ensemble de fichiers textes. Le code source est généralement écrit dans un langage de programmation permettant ainsi une meilleure compréhension par des humains.”
Le code des programmes Mav et Urn est rédigé en langage C et les sources sont bien accessibles mais, celui des logiciels PGM2 et PGM3 n’est fourni que dans un format compilé (executable Windows). De plus, comme nous le verrons plus tard, de nombreuses composantes du système de récolte des votes ne sont pas du tout publiée. Mes compétences en reverse engineering étant relativement limitées, j’ai focalisé mon analyse sur les logiciels Urn, Mav ainsi que sur l’application web Web2.
On remarquera également cette note laissée sur le site web elections.fgov.be:
“Le logiciel électoral n’est pas secret. S’il n’est divulgué que le jour des élections, c’est uniquement pour éviter toute fraude.”
Ce à quoi je laisserai Kerckoffs[4] répondre:
“Il faut qu’un système cryptographique n’exige pas le secret, et qu’il puisse sans inconvénients tomber entre les mains de l’ennemi.”
Le vote cryptographiquement sûr
Afin de bien comprendre les enjeux concernant la sécurité du vote électronique, il est nécessaire de définir le concept de vote cryptographiquement sûr. Bien que les définitions de vote cryptographiquement sûr varie selon les auteurs, un consensus assez clair vis-à-vis de ses caractéristiques ressortent des articles de l’Internet Policy Institute [1], Karlof et al.[2] ainsi que d’Olaniyi et al.[3].
J’en ai retenu douze, dont vous pouvez retrouver les définitions ci-dessous:
Confidentialité Tous les votes restent secrets alors que le vote a lieu et chaque vote individuel ne peut être lié par un individu à l’électeur qui l’a effectué.
Non-répudiation Le mécanisme permettant de prouver qui est l’émetteur du message.
Authentification / Démocracie Seuls les électeurs autorisés sont admis au vote.
Exactitude Chaque urne doit être correctement recomptée dans total, certains auteurs définissant une marge d’erreur tolérable.
Intégrité Il ne doit pas être possible de modifier, forger ou supprimer un vote.
Non-coertion Chaque vote reste secret lors du processus d’élection. Les électeurs ne peuvent pas être en mesure de prouver pour qui ils ont voté à une personne tierce afin de réduire le risque de coertion et d’activité d’achats de votes.
Unicité Chaque électeur a le même nombre de voix. Aucun électeur ne peut être en mesure de voter plus de fois que les autres.
Traçabilité Le système doit pouvoir proposer un système de traçabilité permettant de vérifier que chaque vote a été compté correctement dans le total afin de maintenir la sécurité du système.
Transparence Le processus des élections doit être transparent pour l’électeur. Les électeurs doivent pouvoir comprendre le mécanisme du système de vote électronique afin de savoir si leur vote a effectivement bien été pris en compte.
Simplicité Le système doit être facile d’utilisation pour tous les citoyens. Il doit, par exemple, remplir les besoins des PMR, analphabète et mal-voyant.
Equité Aucuns résultats partiels ne peuvent être disponibles avant que le résultat final soit publié.
Vérifiabilité Le système de vote doit être vérifié afin d’être certain qu’il remplisse les critère nécessaires.
On remarquera que ces caractéristiques sont fortement liées aux principes même du vote démocratique. À la différence ici qu’ils devront être renforcés et assurés par la technologie déployée.
Vue d’ensemble
Chaque électeur reçoit une carte magnétique initialisée par un assesseur grâce à la machine exécutant le programme Urn. L’initialisation de la carte inscrit le token de l’élection en cours, le type d’électeur (N pour national, E pour européen, S pour étranger) ainsi qu’un vote blanc avec son HMAC respectif.
Une fois que l’électeur a reçu sa carte, il peut rejoindre l’isoloir ou la machine exécutant le programmer Mav lui permet de voter et d’inscrire ce vote sur la carte magnétique. Le programme Mav vérifie que le token de la carte est valide avant d’autoriser la personne à voter.
Une fois le vote inscrit sur la carte magnétique, l’électeur peut retourner vers la machine exécutant le programme Urn afin que celle-ci lise son vote et l’inscrive dans un fichier. La carte est ensuite avalée dans une boite scellée.
Accès Autorisé
Tout d’abord, les disquettes et des mots de passe de président sont générées dans un lieu central et sécurisé (garde, caméra). Le président reçoit par courrier le mot de passe sous la forme d’un ticket à gratter et ce, quelques jours avant la date des élections. Les disquettes, elles, sont dans une enveloppe scellée qui l’attend à son bureau de vote. Le président doit normalement attendre que son bureau soit constitué (prestation de serment des assesseurs et témoins) avant d’ouvrir cette enveloppe.
Là, il démarre et initialise la première machine Urn. Les disquettes (en double exemplaire) ne sont pas protégées en écriture et passe de machine en machine. Evidemment, impossible de savoir ce qu’il y avait dessus et les coups de sonde des experts sont inopérants. Surtout que la fonction de vérification d’intégrité de la disquette était erroné de 1994 à 2012.
Si le président oublie sa lettre avec le mot de passe, pas de problème, la commune possède tous les mots de passe. Et on peut toujours appeler le Ministère de l’Intérieur qui les fourni et a aussi tous les mots de passe.
Ce mot de passe est composé de 10 caractères numériques. Il n’est pas comparé à une valeur prédéfinie, mais le programme vérifie la validité de celui-ci grâce au calcul d’une somme de contrôle. Ce système de validation de mot de passe n’est, a priori, pas problèmatique, car la valeur du mot de passe est ensuite utilisée pour dériver une clé secrète. Si la clé obtenue n’est pas la bonne, le programme ne fonctionnera pas.
Le calcul de la somme de contrôle est décrit ci-dessous et est quasi identique à celui utilisé pour votre numéro de registre national si vous êtes un citoyen belge.
Cartes à collectionner
Comme on l’a vu précédemment, le système Digivote repose sur l’utilisation de cartes magnétiques. Il me semblait donc normal de m’attaquer à cet aspect du système pour voir s’il était possible de lire un vote, de le modifier voir de créer des cartes escroc. En effet, ce type d’attaque permettrait de prouver que la majorité des caractéristiques du vote cryptographiquement sûr ne sont pas respectées par le processus de vote mis en place avec Digivote.
J’introduirai tout d’abord la carte magnétique et la manière dont les données du vote sont stockée dessus avant de démontrer les différents types d’attaques et les erreurs commises qui les rendent possibles.
Carte Magnétique - Schéma
Token [5 bytes] Le token est une chaine de 5 caractères destinée à identifier de manière unique le bureau de vote où la carte à été initialisée.
Passage [1 byte] Une valeur binaire indiquant si un vote a déjà été encodé sur la carte.
MAC [4 byte] La représentation hexadécimale du Message Authentication Code du vote. Il permet de vérifier que le vote n’a pas été altéré et qu’il a bien été écrit par un système de confiance.
Test [1 byte] Un caractère indiquant le type de votant (N
pour belge, E
pour européen et S
pour étranger)
Vote [2 + x bytes] Deux caractères indiquant le numéro de la liste pour laquelle le vote a été effectué ainsi qu’un nombre de caractères variable correspondant à la représentation hexadécimale du tableau contenant les votes de préférences pour la liste choisie (ex. [1,0,1,1,0,0,1,1] devient A2).
Carte Magnétique - Vulnérabilités
J’ai retenu trois types d’attaques envers la carte magnétique :
- lire le contenu de la carte magnétique
- modifier le contenu de la carte magnétique
- créer une carte escroc
Lire le contenu de la carte
Les données étant inscrites en clair sur la carte magnétique, il est très simple d’obtenir le vote inscrit sur celle-ci. On peut prendre deux positions vis-à-vis de cette situation. Soit on considère que l’on calque le modèle papier, soit on considère qu’il est nécessaire de respecter les conditions du vote cryptographiquement sûr.
Si l’on se calque sur le modèle papier, il est normal de stocker les données en clair (comme l’est votre vote inscrit au crayon sur papier) car personne ne va pouvoir vous arrêter entre l’isoloir et l’urne pour lire votre carte ou votre bulletin de vote sans qu’un assesseur n’intervienne.
Modifier le contenu de la carte magnétique
En inspectant les données stockées sur la carte magnétique, la modification d’une valeur sans être détecté peut permettre plusieurs choses :
- la modification arbitraire du contenu du token, du passage, du MAC ou du vote permet de rendre une carte invalide
- la modification du byte de test par une valeur autre que
N
,E
,S
permet de rendre une carte invalide - la modification du byte de test vers une valeur acceptée (
N
,E
etS
) permet d’augmenter ou de limiter les capacités de vote d’un électeur en lui permettant de voter ou non pour certains types d’élections en cours.
Créer une carte escroc
Bien qu’il soit aisé de lire le contenu d’un vote inscrit sur une carte ou de la rendre invalide par une modification arbitraire de son contenu, la possibilité de forger des cartes valides semble cependant compromise au vu de la validation effectuée par le programme Urn.
Cette validation repose sur trois éléments:
- le nombre de bytes contenus sur la carte
- la valeur du token
- la valeur du MAC
Carte Magnétique - Escrocs
Pour qu’un attaquant puisse forger une carte magnétique, il lui est donc nécessaire de connaitre le nombre de bytes contenu dans une carte valide, la valeur du token mais également la manière dont est calculé le MAC du vote.
Obtention du nombre de bytes
Obtenir le nombre de bytes stockés sur la carte est trivial et peut même s’effectuer sans lecture préalable d’une carte. En effet, sachant comment les votes de préférences sont stockés sur la carte (cfr. Carte Magnétique - Schéma) il suffit d’obtenir le nombre maximum de candidat pour chaque élection en cours afin d’obtenir le nombre total de bytes stockés.
Obtention du token
La valeur du token est inscrite sur la carte afin que l’urne puisse vérifier que la carte a effectivement été initialisée dans le même bureau de vote.
Le calcul du token inscrit sur la carte magnétique se fait en trois étapes :
-
Un token étendu est lu depuis le fichier
machvots.tbl
. Ce token contient le numéro de canton, le numéro secondaire et principal du bureau de vote ainsi que la date du vote au formatt jj mm aa. -
Une valeur hard codée, présente sur les machines de vote et dans les urnes, contient la valeur
0EC3ZN678LAB2DFRH1IJK9M5OPQGSTUVWXY4
. Cette valeur est utilisée pour générer le token de la carte. -
Le token de la carte est généré en allant chercher des valeurs dans
code
à des index dépendants des valeurs du token étendu.
Sachant que la valeur de code
n’a pas changé pour les différentes élections, il existe deux possibilités pour obtenir ce token :
- lire une carte magnétique de l’élection courante et en extraire le token
- lire sa convocation électorale pour obtenir le numéro primaire et secondaire du bureau de vote ainsi que la date de l’élection afin de générer le token
Calcul du MAC
Un code d’authentification de message (MAC, Message Authentication Code) est un code accompagnant des données dans le but d’assurer l’intégrité de ces dernières en permettant de vérifier qu’elles n’ont subi aucune modification, après une transmission par exemple. Le MAC assure non seulement une fonction de vérification de l’intégrité du message, mais il permet également d’authentifier l’expéditeur, détenteur de la clé secrète ayant servi au calcul de cette valeur.
L’algorithme utilisé par Digivote est défini par ISO/IEC 9797-1 (algorithme 2, padding 2). Les données sur lesquelles sont appliquées le calcul du MAC sont composées du byte de test ainsi que des bytes du vote.
La fonction utilisée est Calcul_Crc
représentée ici :
L’algorithme étant connu, toute la difficulté réside donc dans l’obtention de la clé utilisée pour calculer le MAC de la carte.
Cette clé est obtenue de la manière suivante :
La variable fullPassword
contient le mot de passe de 10 caractères numériques encodé par le président de bureau. La fonction extendPassword
, calcule la valeur de l’extension comme on l’a vu précédemment.
La clé est donc dérivée depuis un mot de passe de 10 caractères dont nous connaissons 6 caractères. En effet, la variable de Minicodage
est connue et contient 4 caractères tandis que nous connaissons l’algorithme (extendPassword
) permettant d’obtenir les deux derniers caractères du mot de passe. Il ne peut donc exister que 10⁴ valeurs possibles pour ce mot de passe.
En possession d’une carte magnétique, il nous est possible de lire la valeur du vote ainsi que la valeur du MAC. Connaissant ces valeurs, il nous est possible d’utiliser une attaque par brute force afin d’obtenir la clé secrète comme suit :
- énumérer les 10⁴ combinaisons possibles de mot de passe
- dériver la clé pour chaque mot de passe obtenu
- calculer le MAC du vote lu depuis la carte avec chaque clé dérivée
- si, pour une clé dérivée, le MAC correspond à celui inscrit sur la carte, nous avons trouvé la clé
Résultats
Muni de la clé secrète et de la valeur du token, il nous est possible de créer des cartes escroc totalement valide pour le programme Urn.
De plus, en trouvant la clé, nous avons également trouvé 4 caractères du mot de passe du président de bureau de vote. Nous connaissons donc 6 caractères sur 10 (4 caractère trouvé + 2 caractère de l’extension) du mot de passe du président destiné à l’initialisation des machines.
Secure Storage
Une fois qu’un électeur a inscrit sont vote grâce à une machine exécutant le programme Mav, il peut insérer sa carte dans une des urnes électroniques. Les urnes électroniques exécutent le programme Urn qui valide le contenu de la carte, encode le vote dans un fichier et stocke enfin la carte dans l’urne physique.
Concernant le stockage des votes en mémoire, j’ai exploré deux possibilités :
- est-il possible de manipuler le contenu des votes ?
- est-il possible de lier un vote à un électeur ?
Tant que l’élection est en cours, tous les votes sont encodés de manière chiffrée dans un fichier temporaire. Lorsque le président de bureau clôture le vote, le contenu de ce fichier temporaire est chiffré avec AES et inscrit dans un nouveau fichier. Le fichier temporaire étant ensuite supprimé.
Une fois le contenu chiffré sur les disquettes, le président emmène celles-ci vers le bureau de totalisation avec le secrétaire de son choix. Ce qui est l’équivalent de se déplacer avec une urne non scellée. Il a en fait tout le logiciel pour fabriquer le résultat qui lui plait. Normalement, les disquettes devraient être dans des enveloppes scellées, mais ce n’est pas la pratique.
Le logiciel de totalisation demande au président d’encoder son mot de passe, lit le contenu des disquettes et produit un résultat qui est imprimé localement.
Manipuler le contenu du fichier temporaire
Voici comment les votes sont encodés dans le fichier temporaire :
Le chiffrement appliqué sur le contenu du vote est donc un XOR cipher qui se base sur la valeur de pzPassword
comme clé. La valeur de pzPassword
est obtenue avec la fonction suivante :
Le mot de passe est donc composé de la position du vote dans le fichier mais également de la valeur de CMinipassword.
La valeur de CMinipassword est obtenue comme suit:
Le filtre du XOR cipher est donc composé de 7 bytes provenant de la position du vote dans le fichier, de 4 bytes contenant la valeur de Minicodage et de 4 bytes du mot de passe administrateur. Connaissant la position et la valeur de Minicodage, nous avons deux possibilités à notre disposition pour obtenir les 4 bytes restant du filtre :
- effectuer une attaque par brute force en énumérant les 10⁴ possibilités, en supposant qu’il soit possible de déterminer si le contenu déchiffré est valide ou non
- étant donné que les 4 bytes manquant correspondent aux 4 bytes obtenus par brute force dans l’attaque sur la carte magnétique, il nous suffit d’utiliser cette attaque pour obtenir les 4 bytes manquant.
Connaissant la clé utilisée pour le XOR cipher il nous est possible d’ajouter et de modifier le contenu des votes inscrits dans le fichier temporaire.
Déchiffrer le contenu du fichier
Le contenu du fichier temporaire est, à la fermeture des bureaux, inscrit dans un nouveau fichier qui est ensuite chiffré avec AES. À première vue, déchiffrer le contenu du fichier semble donc impossible. Malheureusement, les développeurs ont fait les erreurs suivantes :
- l’initialization vector est stocké dans le fichier
floppy.be
- la clé secrète est stockée dans le fichier
floppy.be
floppy.be
se situe sur la même disquette que celle où est stocké le fichier chiffré
Le contenu du fichier floppy.be
est lui-même chiffré avec AES. Il est donc nécessaire de connaitre la clé secrète ayant chiffré le contenu de floppy.be
afin d’obtenir la clé permettant de déchiffrer le fichier contenant les votes.
Cette clé, c’est la clé obtenue en dérivant le mot de passe administrateur.
Comme on le sait, il est possible de récupérer 6 caractères sur 10 du mot de passe administrateur grâce à une carte magnétique. Il serait donc possible d’énumérer les 10⁴ combinaisons possibles pour les 4 caractères manquants, de dériver chaque combinaison et d’appliquer le processus de déchiffrement avec chacune des clés obtenues.
Le format des lignes du fichier étant connu, il me parait plus que probable de pouvoir vérifier que le contenu déchiffré correspond au format (par exemple, en vérifiant que le type de votant de chaque ligne est bien N
, S
ou E
). S’il est possible d’effectuer cette validation, nous aurons non seulement récupéré tous les votes contenus dans le fichier mais également le mot de passe administrateur du président de bureau de vote.
Le schéma ci-dessous décrit de manière très brouillonne comment les différentes clés et IV sont obtenues.
Bonus
Le code de vérification d’intégrité a été corrigé en 2014 et jamais détecté auparavant.
Infrastructure
Lorsque j’ai débuté mon analyse, j’ai toujours été persuadé qu’aborder l’infrastructure d’envoi et de récolte des votes aurait été un exercice difficile et entièrement basé sur la supposition.
Heureusement, Stesud a fourni la documentation technique complète de cette infrastructure (cartographie réseau, description des services et systèmes). Le fichier, comme on peut le constater ici, était relativement bien enterré dans l’archive mise à disposition.
$ cd /tmp $ wget http://www.elections.fgov.be/fileadmin/user_upload/\ Elections2014/FR/Electeurs/en_pratique/soft/codi.zip $ unzip codi.zip $ cd Codi $ cd PGM2\ -\ 275/ $ unzip PgmRef.zip $ cd ZCOCKPIT $ unzip t15M $ libreoffice doctechnique01150842.doc
On peut décemment supposer que la présence de ce fichier est une erreur malencontreuse de la part de Stesud. Cependant, aucune modification de l’archive n’a été effectuée par Stesud ou l’IBZ depuis septembre 2014, date à laquelle je les ai notifiés vis-à-vis de cette fuite d’information.
Je décris de manière assez simple l’infrastructure réseau mise en place dans les prochaines sections, pour plus de détails vous pouvez retrouver toute l’information sur le wiki.
Transmission Sécurisée
Une fois le contenu des votes chiffrés et inscrit sur la disquette, cette disquette est transmise au bureau de canton afin que son contenu soit déchiffré et intégré aux résultats du canton avec le logiciel PGM2. Une fois tous les résultats lus et encodés, le logiciel génère un fichier pdf contenant un récapitulatif des résultats. Ce fichier pdf est signé par le président de bureau grâce à sa carte d’identité électronique.
Ce fichier pdf est ensuite transmis via PGM3 vers l’infrastructure de l’IBZ et/ou de Stésud. Je tiens à signaler que le fonctionnement de PGM2 et PGM3 n’est que pure spéculation, basée sur le contenu des guides d’utilisation mis à disposition par Stésud.
Services
-
Les programmes Pgm ont été dévéloppés avec Centura et sont utilisés sur les PCs des bureaux principaux.
- Pgm1 : bureau de circonscription et collège : introduction et validation des listes
- Pgm2 : bureau principaux : introductions des résultats, calcul et génération du procès-verbal
- Pgm3 : bureau de cantons électroniques : introduction des résultats et génération du procès-verbal
- Pgm5 : comparaison de 2 fichiers résultats au format F
-
Les programmes Web sont des applications développées en php (la plupart avec Zend), s’exécutant sur les serveurs du SPF Intérieur.
- Web1 : encodage des listes par les partis, des bureaux de votes par les communes, consultations des coordonnées des bureaux de cantons.
- Web2 : enregistrement des résultats par les ambassades étrangères
- Web3 : intranet interne au SPF Intérieur avec les résultats des élections
- Web4 : cockpit pour le suivi et la supervision des opérations
- Web5 : serveur web de publication des résultats pour le grand public
-
Les programmes Loc ont été dévéloppé avec Centura et s’exécutent sur les serveurs du SPF Intérieur.
- Loc1 : réception des fichiers provenant des bureaux principaux et transfert à loc 2
- Loc2 : vérification des fichiers reçus de loc 2, chargement en base de données, calcul et transfert des résultats vers loc 3, consultation des données enregistrées dans la base de données de loc 2.
- Loc3 : transfert des résultats vers les différents partenaires.
Réseau
Comme on peut le remarquer sur les cartes réseau ci-dessous, les clients peuvent accéder aux serveurs à la fois via le réseau Internet et à la fois via le réseau Publilink.
Pour information, Publilink c’est ça:
PubliLink est conçu sur un réseau privé totalement verrouillé en gestion chez Belgacom auquel diverses administrations publiques, Belfius Banque et tous les autres fournisseurs de services sont affiliés.[7,8]
On peut décemment se poser les questions suivantes vis-à-vis de cette cartographie:
-
Pourquoi offrir la possibilité aux clients PGM1 et PGM2 de se connecter à l’infrastructure de récolte des votes via Internet alors que Publilink semble être une solution bien plus sûre et sécurisée ?
-
Pourquoi l’infrastructure de backup est-elle hébergée chez un fournisseur privé ?
-
Quelles garanties vis-à-vis de la sécurité du réseau l’IBZ et Stésud peuvent fournir ? Le réseau a-t-il été audité ?
Web Application (In)Security
Après avoir remonté la chaine jusqu’à l’infrastructure du SPF Intérieur, nous allons dès maintenant jeter un coup d’oeil aux applications qui permettent à l’entiereté du processus électoral de prendre place. En effet, ces applications web réceptionnent, calculent et redistribuent les résultats des votes pour tous les électeurs belges. Que vous ayez voté sur papier ou de manière électronique, votre vote a été comptabilisé via ces applications.
Tout d’abord, il faut savoir que seules les sources de Web2 sont disponibles sur le portail du Ministère de l’Intérieur. Cela signifie que sept applications sur les huit utilisées dans la réception, le calcul et la diffusion des votes ne sont pas fournies aux citoyens alors qu’ils prennent une part tout aussi importante dans le processus électoral.
Les applications WebX sont développées en php avec le framework Zend tandis que les applications LocX sont des exécutables windows développés de la même manière que les logiciels PGM2/PGM3 (GuptaSql).
Accès
Si vous jetez un coup d’oeil au fichier createUsers.php dans config/DB, vous aurez le plaisir de rencontrer ceci :
Il était toujours possible d’accéder l’interface de Web2 avec ces comptes administrateurs après les élections du 25/05/2014. Ces accès ont été désactivés le 05/09/2014 suite à une notification de ma part auprès de Stesud.
Clé privée pas si privée
Si vous allez dans le répertoire library/encrypt/cert
vous aurez le plaisir de croiser deux clés privées et deux certificats. Le challenge password des deux clés privées est dans le fichier run.bat
stocké dans library/encrypt
.
codiSender.pem
quentin@localhost:~/Codi/Web2/v1.0.4/library/encrypt/cert$ openssl rsa -in codiSender.pem Enter pass phrase for codiSender.pem: writing RSA key -----BEGIN RSA PRIVATE KEY----- MIICXAIBAAKBgQCeRdpC5RkV97ViOJeMru6rWqV+NTZkOFafizn9LulLC0R56umN zN/3K9OuXHLkrB3IJzUkiXKD6pt9i/wQEDl5LhJ2omhR7rgSUeCPe4wigXk3YdFW kj8MZyzWKPNLOaU0QCcAkBLS/51/HaogpVwCpCvNkKLXPQIDOUijwCiCZQIDAQAB AoGANCIIIa6605yTN3YynRll7jVee7LlZp+UENtYT4grOhfNB2eUZKvOPelGwZEc GyyCZtJbU9yeRst5SiJY9aWSeE4991GegjEvg84dB5EVPQQYzpLRkMfOP5WoHNlD +TM+yvAOeAJ7pZUnmD4vMmMjKiBrf/IfRaqS1tWFl4KdvKECQQDQvLCvxllDyhJg 1qzyYx0UR5DWJOMTvrc9dU/9ITp4Bi/n1SVYFV2S36B4J95CBUMeDymt6ViC9Iqz S0gZKeVJAkEAwhwJelA9zymRTTVpQ7FNs/6EvXS+DBXesVoLqdAFKuGyqX1dvUP1 qIthm6MN9Jrc8GiOnXcrksgRMRYMTSXgPQJAFrznNk6R/LtvYxMfhcvcKBBfq6Qb BFSbG1vDGdzbxKVP5J4oUj8JkW1AyrX1FRYDqKuYK7SmiqVe0ocZ1Hvm2QJBALMC lj8FtyrQw953Tl+OKQHAzHvIKOgOVzQpva3aWJmmUVT7d7Ju9SN9fwPASMN2+iB/ 3F4do8KW3TvugGO5dWUCQFB7ceIDCMl2+adEPL361z8ojD096S4ZgJOqmDZTjc0v UKk9+dop7bh1G59mddhwbKIGq7x57PzQVkv8OgkOlng= -----END RSA PRIVATE KEY-----
codiSender.crt
run.bat
Comme on peut le voir ces clés privées ainsi que leur certificat étaient destinées au déchiffrement des votes reçus sous la forme d’une archive.
Mots de passe en clair
Lorsque l’administrateur génère les comptes utilisateurs, leurs noms ainsi que le mot de passe correspondant sont inscrits en clair dans un fichier csv.
Arbitrary File Inclusion
Le script disponible à l’adresse http://codi1web.rrn.fgov.be/transweb/download.php ne nécessitait aucune authentification et permettait d’obtenir n’importe quel fichier stocké sur le serveur pour peu que le processus ai le droit en lecture dessus.
Une recherche sur les auteurs du script m’a permis de retrouvé le fichier ici. La seule modification ayant été effectuée concernait le message d’erreur.
Disclosure timeline
- 07/2014: premier contact par mail pour indiquer la présence des comptes
- 07/2014: second contact pour la présence des clés privés
- 08/2014: relance vis-à-vis des comptes et des clés
- 09/2014: relance vis-à-vis des comptes, des clés et du local file inclusion sur deux autres mails + notification de l’IBZ
- 02/09/2014: réponse de Civadis
- 03/09/2014: Civadis minimise l’impact
- 05/09/2014: Civadis désactive les comptes
- 10/09/2014: Civadis coupe l’accès aux serveurs
Un futur pour le vote électronique ?
Premier constat: le système Jite/Digivote n’apporte aucune nouvelle garantie par rapport au vote papier. Il est possible de créer des cartes magnétiques escrocs afin de faire du bourrage d’urne ou de l’achat de vote et il est également possible de manipuler les votes lorsqu’ils sont stockés localement.
Deuxième constat: de nombreuses zones d’ombres persistent. D’abord, vis-à-vis des programmes engagés dans la récolte et la gestion des votes dont le code n’est pas publiquement disponible. Ensuite, concernant le réseau censé gérer la récolte des votes. Quid de sa résilience, de sa solidité et de sa sécurité ?
Le plus inquiétant dans toute cette enquête, c’est que la société Stésud a mis à disposition le même code pendant plusieurs élections, sans sourciller. Comment une entreprise a pu, en toute conscience, s’engager dans un milieu aussi critique que les élections libres et démocratiques avec un niveau d’expertise aussi bas ? Mais surtout, qui va continuer à croire au bug des rayons cosmiques ?
Un système de vote électronique, lorsqu’il est bien conçu et correctement implémenté, est un outil efficace pour répondre aux défis que présente l’organisation d’élections démocratiques. Malheureusement, le manque de contrôle, de moyen et d’expertise du Ministère de l’Intérieur l’ont conduit à renouveler ce système bien au-delà de ses limites. Renouvellement qui, finalement, mènera à une totale perte de confiance de la population envers ces systèmes.
Le vote papier, finalement, c’est quand même pas si mal.
Crédits
Texte et illustrations par Quentin Kaiser sous licence CC-By BE.